VEF Blog

Titre du blog : Médias Justice
Auteur : SemtobFK
Date de création : 06-06-2008
 
posté le 07-06-2008 à 17:46:08

Extrait de Lettres au Castor. Juin 1939

Mon charmant Castor

Excusez-moi bien,à peine étais-je en route pour vous retrouver que 'ai

rencontré Tania.J'ai bien regretté de ne pas vous dire adieu, mon cher petit.Mais l'explication s'est engagée tout de suite parce que je a soupçonnais (à tort ) de n'avoir pas quitté Paris ou d'y être venue plus tôt qu'elle ne le disait.Elle a été âpre et a tout nié jusqu'à minuit en vous

abreuvant d'insultes,vous et sa soeur (je les emmerde toutes les deux,etc ). Et puis elle a dit tout d'un coup en sanglotant : "J'ai fait un faux départ." Voici les faits : elle a authentiquement couché chez Vlasta le second soir parce que sa soeur était au Swing Club; seulement en le racontant à Olga, elle a omis de dire que la veille elle avait bénévolement partagé le lit de Vlasta pour la première fois. Puis elle l'a dit à Olga- deux ou trois jours après- mais Olga, naïve de cette histoire, vous avait déjà raconté cet épisode. Ensuite il est vrai qu'elle a dit à Olga qu'elle partait mercredi. Donc l'autre ne vous a pas menti. Savoir simplement si Olga l'a accompagnée à la gare? Mais c'est un mensonge bénin. Toujours est-il qu'Olga était persuadée que Tania partait. Là-dessus Tania écoeurée de partir mais honteuse devant Olga, laisse ses valises à la consigne ( elle a encore 100 francs ), revient à Montmartre et va prendre une chambre pour deux jours à son ancien hôtel. Elle se terre. Elle ne voit pas Olga de deux jours. Elle ne voit que Vlasta*. Je l'ai engueulée à fond, elle a pleuré mais elle m'a engueulé aussi m'a reproché M.Bourdin, en partie pour se défendre avec ce qu'elle avait sous la main, en partie pour extérioriser des griefs rancis auxquels elle a dû penser à Laigle. Elle a un je ne sais quoi de plus dur et de plus amer depuis hier- de plus passionné aussi: tout cela réserve sans aucun doute des surprises. Moi je suis tout froid, je vous regrette, j'aurais plutôt du goût pour la vie morale et non pour les obstinations personnelles.

Adieu, mon cher petit. Je vais prendre ma pipe et aller voir Maurice Sachs. Amusez-vous bien en voyage et ne faites pas d'imprudences. Je vous aime passionnément.

 

*Une amie de Tania.

Lettre de Jean-Paul Sartre à Simone de Beauvoir ( Juin 1939).